mardi 8 novembre 2016

Dembé Dembé au marathon de Toulouse ou récit d'un naufrage (épisode 3)

Nous sommes le 23 octobre, sur le pont Coubertin, à 10 minutes de l'épreuve fatidique. Je suis dans tous mes états car je me vois interdire l'accès au SAS élite par un officiel malveillant.
-"Vous savez qui je suis ?". Je fulmine. "Avez-vous conscience que le peuple Columérin est derrière moi ? Il ne comprendrait pas que je ne me trouve pas aux avants-postes avec mes frères Kenyans ?".
-"Ah oui  ! Tu es le Kenyan Columérin ! Dembé Dembé ! Celui qui a fait 4h26 à Bordeaux au printemps dernier ! HA HA HA HA HA HA HA HA HA HA !".
Je tente d'ignorer son hilarité.
-"Tu sais quoi ?", Reprend-il, "tu peux aller te rhabiller avec ton t-shirt trop grand. Vas-voir là-bas si j'y suis !".
Dans une dernière tentative je lui fais remarquer que tous les Kenyans et Ethiopiens, coureurs longilignes, ont  des t-shirts trop grands, alors pourquoi pas moi ?

Rien à faire. Cet officiel fait preuve d'une vraie autorité malgré son t-shirt rose et je suis obligé de rejoindre les bas-fond du peloton. J'ai l'impression d'être, encore une fois, une victime collatérale de ce vieil antagonisme entre les deux plus grandes villes de Haute-Garonne .

Je me positionne dans le SAS 4h et je pense à ce petit enfant qui a dû se lever aux aurores pour rejoindre, avec son papa, un des nombreux bus mis à disposition par la mairie de Colomiers. Il doit attendre, dans le froid, derrière une barrière, que le 1389, qui porte haut les couleurs de sa ville,  passe triomphant, au coude à coude avec un athlète africain des hauts-plateaux.

J'ai les larmes aux yeux lorsque le départ est donné.
Premier constat : mon t-shirt gonfle avec le vent. Il y a quelques bonnes rafales et je ressemble parfois à un voilier. Tant pis, les éléments sont contre moi mais j'en ai vu d'autres. Je me souviens d'une époque où j'allais à l'école, courant pieds nus dans la savane nazairienne (ben oui je suis de St-Nazaire), évitant les points d'eau dans lesquels venaient se désaltérer le roi des animaux.

Bon, revenons à nos moutons.
Deuxième constat : ils sont passés où les meneurs d'allure 4h ? J'ai beau regarder devant moi, ils ont disparu. Aïe, il va falloir revoir mes objectifs à la baisse. Record du monde ? Pas ce matin.
Moins de 3 heures ? Compliqué. 3h30 ? Difficile. 4 heures ? Gloups.

Je dis ça mais je franchis les 21 premiers kilomètres en 2 heures, le sub 4h est toujours possible même si mes jambes commencent à m'envoyer des messages alarmants.
En fait c'est le kilomètres 25 qui m'a fait perdre mes illusions. Je flirte dorénavant avec les 10km/h.





Km 27. Ça y est j'ai l'impression que mes jambes sont prises dans un étau.

Km 30. A chaque nouveau kilomètre un tour de manivelle est donné et des mâchoires d'acier m'écrasent les guiboles, à partir des hanches jusqu'aux chevilles.

Km 32. Vive le sport.

Km 33. Ma femme m'attend au bord de la route. Je lui avais demandé de me préparer une seringue pleine d'anabolisants au cas où. Je baisse mon short pour qu'elle puisse choisir une fesse à piquer. Au lieu de cela elle me tend une bouteille d'eau sucrée.

Km 34. Je sens les premiers effets. Je passe de 8.5 km/h à 8.6 km/h.

Km 34.2. Je tiens le bon bout.

Km 34.3. Je ne suis plus un coureur.

Km 34.4. Je suis un marcheur.

J'alterne marche et simili-course. J'ai conscience que je suis en train de perdre ma dignité. Et en plus on se retrouve en plein centre-ville. Une foule en liesse nous encourage, nous, les athlètes de bas-niveau.

Km 39. C'est le drame. Les meneurs 4h30 me dépassent. Nooooooooooooon ! Pas çaaaaaaaaa !

Km 40. Si.

Km 41.9. Il est temps d'entamer mon fameux sprint final. J'ai 300 mètres pour faire parler la foudre.

Km 42. 300 mètres ça fait beaucoup. Je remarche un peu.

Km 42.1. Plus que 100 mètres. Je franchis la ligne d'arrivée en rampant.

Km 42.2 4h39 !

Oh làlàlàlàlàlàlàlà. Je suis au bord de l'épuisement et tout un tas de questions se bousculent dans ma tête.
Pourquoi moi ? Qui suis-je ? Comment vais-je faire pour retourner à Colomiers ? Qui voudra manger à côté de moi au restaurant administratif ?

Dernier constat : Je vire mon coach. C'était qui ? Moi.

Bon, l'heure n'est pas encore complètement au bilan et j'ai hyper envie de pisser car j'ai bu des litres d'eau. La place du Capitole est pleine comme un œuf. Nous rentrons à la maison pour me soulager. Je suis pour la 4ème fois marathonien. Je ne garde que cela en tête pour le moment, mais si je ne veux pas franchir la barre des 5 heures la prochaine fois il va falloir changer des trucs dans ma préparation, et je ne parle pas de t-shirt.

Je suis entre l'euphorie et la loose, l'eupholoose. Le mur marque un nouveau point et pas des moindre.

Le mur 3 - Armand (Dembé Dembé) 1.

End of story.