dimanche 1 mars 2015

La course à l'adoption

Il y a trois semaines, ma femme et moi avons "fêté" un bien étrange anniversaire.

Le 12 février 2013, nous avons rencontré nos "filles" par le biais d'une photo. Pour être plus précis, il s'agissait d'une photocopie couleur. Je l'ai sous les yeux, devant moi.

Dans le jargon de l'adoption on dit que nous avons été "apparentés" ce jour-là, et notre dossier est parti à Kinshasa, puis Mbuji-Mayi, ville sinistrée du Kasaï oriental en République Démocratique du Congo.

Pour reprendre les choses d'un point de vue chronologique, nous avons obtenu l'agrément, "le droit d"adopter" en quelque sorte, en août 2012. Les entretiens avec l'assistante sociale nous ont permis de bien définir notre projet : un à deux enfants de 0 à 8 ans. En d'autres termes, nous étions ok pour une fratrie, et pour des "grands". A nos âges (plus de 40 ans), on ne nous proposerait pas de "petits", mais cela ne nous dérangeait pas.

Il faut savoir que, malgré les idées reçues, il y a de moins en moins d'enfants "adoptables" à l'international. Je me souviens d'une réunion d'une association de parents qui nous avait bien "minés" et qui décrivait la réalité de la situation. Seulement 1069 enfants venus de l'étranger ont trouvé une famille en France en 2014. Les raisons de cette diminution ? Vous les trouverez ici.
Adopter en France ? Ça n'est pas forcément plus facile. Et nous redoutions le "passé difficile", les "traumatismes" qu'auraient pu susciter chez ces enfants une séparation d'avec des parents biologiques maltraitants.

Donc après avoir trouvé un O.A.A (Organisme Agréé pour l'Adoption) qui veuille bien de nous, ce qui n'est pas une mince affaire, le téléphone a sonné, le 3 Janvier 2013.
C'est moi qui ai répondu, et pour la première fois de ma vie j'ai entendu parler de ces deux petites filles (âgées à ce moment-là de 4 et 5 ans) .
Ai-je besoin de décrire à quel point mon coeur s'est mis à battre à ce moment précis où "elles" entraient dans nos vies ?

Après un mois et demi de fantasmes et autres projections nous les avons enfin vues. Nous avons vécu ce "fameux" moment où on nous présente la photo de deux êtres qui vont bouleverser nos vies.

Premières impressions : elles sont vraiment belles , et surprise, elles arborent des sourires ravageurs.
A partir de ce moment précis, et je crois que seuls les parents adoptifs le comprennent vraiment, on est "saisis", "propulsés" dans cette aventure. Ce sont elles et personne d'autre c'est sûr.
Je suis devenu "un peu" papa.
Un papa à distance.



On nous avait alors parlé d'une procédure d'environ 9 à 12 mois.
Et nous étions définitivement prêts à aborder ce temps d'attente de façon constructive, en assistant à des réunions, en lisant, en essayant de devenir "parents", sur le papier en tout cas.
Aujourd'hui, deux ans plus tard, nous ne sommes, dans les faits, toujours pas "parents".
La situation s'est quelque peu compliquée.

En effet depuis le 25 septembre 2013 la R.D.C a décidé de suspendre pendant un an la délivrance des autorisations de sortie pour les enfants adoptés à l'étranger. Les raisons officielles ? Vous les trouverez ici.
Officieusement, je dirais que nous sommes les victimes collatérales d'une situation diplomatique inextricable, mais je n'en dirais pas plus.

Pour en revenir au thème de mon blog et à ce qui motive mon article aujourd'hui, j'ai constaté qu'au fil de cette attente interminable, j'ai commencé à remettre mes baskets. D'abord 1 fois par semaine.

Et puis en septembre dernier, alors que le Congo décidait de prolonger le blocage "jusqu'à nouvel ordre" et que, donc, nous avions pris un énorme coup de massue sur la tête, j'ai définitivement "compensé" par la course à pied.

J'ai "dégoupillé" pendant mon premier semi (oui j'avais décidé de m'inscrire à ma première course officielle). Et voir tous ces gamins au bord de la route brandir des pancartes d'encouragements destinés à des papas et mamans bien chanceux me montaient à la tête au fur à mesure que les kilomètres défilaient.
J'avais en même temps cette photo des filles dans la tronche, des sanglots qui commençaient à monter avec la fatigue. Mon corps en activité m'aidait à faire remonter des émotions que j'enterrais profondément en moi.

Il s'est passé quelque chose ce jour-là, qui s'est reproduit à mon deuxième semi, puis à mon premier marathon. A chaque fois plein de choses  s'entrechoquent : de la fierté, de la douleur, de la jalousie (?), de l'envie, de l'espoir pour fabriquer finalement un cocktail un peu explosif mais auquel je suis définitivement accro.

Du coup, voilà 7 mois que je me donne entièrement à ma pratique, alors que mes filles n'existent que sur papier photo (il y a eu d'autres photos).
J'ai couru un deuxième marathon.
Je me souviens d'ailleurs qu'au cours d'un entretien avec l'O.A.A, j'avais évoqué deux rêves, celui d'être père, et celui de finir un marathon.

Finalement, dans les deux cas il s'agit d'une course interminable. En ce qui concerne l'adoption, j'ai l'impression d'être dans "le mur"...mais à quel niveau du parcours ?
Sommes-nous au trentième, trente-cinquième, quarantième kilomètre. Impossible de savoir.

Et aujourd'hui je peux le dire, il est beaucoup plus facile de finir un marathon que d'adopter en R.D.C.
Cette course à l'adoption est beaucoup, beaucoup plus chaotique.

Alors j'ai trouvé dans la C.A.P, et peut-être aussi un peu dans ce blog, une façon de remplir ma vie. Je fatigue mon corps, je lui donne des objectifs pour soulager ma tête, ça c'est sûr.

Mais nous n'avons pas encore franchi la ligne d'arrivée.

Je rêve d'un jour  à Toulouse (ou ailleurs),  où je passerai ce 42ème kilomètre avec dans chaque main une autre petite main. Nous serons des finishers, moi et mes deux gazelles, et nous irons rejoindre la maman pour savourer (enfin) le chemin que nous avons accompli.