dimanche 17 avril 2016

Le mur 2 - Armand 1

 Mise au point


J'avais laissé ce sacré farceur de "mur du trentième kilomètre" au bout de l'avenue Mohammed V et d'un marathon de Marrakech au finish interminable, fin janvier 2015. J'avais encore en mémoire ces longues, très longues artères et cette chape de plomb qui ne m'avait pas lâché, m'essorant tel une vieille djellaba sur une dizaine de kilomètres.  Il ne restait plus qu'à me mettre  à sécher au balcon d'une Casbah de la Médina, attendre de retrouver des couleurs et un semblant de dignité.

Le mur m'avait mis une branlée et s'était vengé d'une première victoire inespérée à Toulouse.


L'épreuve marocaine avait duré 4h05 (temps réel) et pour la deuxième fois j'étais marathonien.
3 mois plus tôt j'avais connu un baptême très heureux sur cette distance mythique. J'avais maintenu, du début à la fin, un bon vieux 10km/h pour terminer en 4h10 (temps réel) sans véritable défaillance.

Entre Le mur et moi l'égalité était parfaite, chacun ayant eu sa victoire.

Faim de course


Et puis il y eut cet arrêt prolongé de 8 mois, d'avril à novembre, sans pouvoir mettre mes runnings pour cause de hanche récalcitrante, me frustrant d'un certain nombre de courses et d'au moins un marathon.

J'avais les crocs lorsqu'en décembre dernier, après une reprise inespérée, je me suis décidé à m'inscrire pour Bordeaux. Je ne savais pas si je serais suffisamment en cannes pour renouveler l'expérience des 42 bornes, mais j'allais tout faire pour. J'avais retrouvé de l’appétit pour la course à pied.

Je t'aime, moi non plus


Ah Bordeaux ! Je t'avais quittée, en mauvais termes, quelques 18 années plus tôt pour finalement te retrouver aujourd'hui et t'apprécier de nouveau. Il faut dire que tu as sacrément changé et je pourrais même me réconcilier avec toi.

Quoi de mieux pour célébrer cette nouvelle connivence qu'un parcours marathonesque et nocturne dans tes rues et tes domaines Pape-Clément et Pique-Caillou.

J'ai donc passé le premier trimestre 2016 à enchaîner les sorties et les kilomètres dans la mesure de mes capacités physiques (à peu près 50 bornes par semaine).


J'avais dans l'idée de démarrer plus lentement qu'à Marrakesh (un peu plus de 11km/h sur le premier semi marocain) mais de garder un rythme régulier (10.6 km) qui m'aurait amené, au final, vers un transcendant 3h59. En gros, dans mes rêves les plus fous, j'allais suivre le meneur d'allure "4 heures" et le dépasser dans le dernier kilomètre. C'est beau de fantasmer.

Déjà, mes divers chronos dans les trois premiers mois de 2016 ne me laissaient rien augurer de bon. Je m'étais, de toute façon, fixé comme objectif secondaire et plus réaliste de simplement le terminer, ce foutu marathon de Bordeaux. Ça, au moins c'était dans mes cordes.

 Juste une illusion


Et la première moitié du parcours m'a permis d'entretenir un peu le mirage. J'ai, en effet, clôturé le premier semi en 2 heures pile poil, accroché aux basques du groupe "4 heures", 10,59 km/h de moyenne c'était nickel.

Mais le ravitaillement du 25ème kilomètre a eu raison de mon ambition. En effet, le groupe ne s'arrêtant pas, il fallait à chaque fois anticiper, accélérer sur une centaine de mètres, boire, manger et retrouver les meneurs d'allure qui continuaient leur route.

Bien entendu, le retour à la réalité a été brutal et le 5ème ravito fatal. J'ai laissé filer le train sans pouvoir me raccrocher aux wagons. Impossible de rattraper mon retard.
Au contraire,  le drapeau "4 h" s'éloignait de plus en plus.

Et c'est au 27ème kilomètre que je sentis sa présence pesante... car il était bel et bien là, à m'attendre au coin d'une rue dans la nuit bordelaise....Le mur.

Aïe, je le reconnus tout de suite tandis que mon allure commençait à chuter (10km/h).
A partir du 30ème c'est plutôt un 9 km/h qui a commencé à s'installer pour m'amener à flirter, finalement, avec les 8 km/h.

Doigts de pied 8 - Armand 0


A vrai dire, je ne compte plus les ongles sacrifiés sur l'autel de la course à pied ni les ampoules accumulées sur cette distance. C'est donc aux alentours du 30ème kilomètre qu'un frottement au bout du petit doigt de pied gauche, depuis bientôt 3 heures,  a fait éclore une de ces fameuses petites cloques, pour le moins vicieuse. Mais en réalité j'avais mal partout, aux pieds, aux jambes, à la nuque...J'avais l'impression de courir sur des oeufs et en même temps mon corps pesait une tonne. Bref, je faisais une sacré omelette sur les pavés bordelais. Ah ! elle était loin la foulée aérienne médio-pied.

Et j'ai commencé à entendre des "Vas-y Moby" de djeunes dans un état pré-alcoolisé, et oui on approchait les 1 heures du mat et le marathonien en bout de course que j'étais devenait une cible facile.

Des relais relous ?


 Attention, que l'on ne se méprenne pas, je n'ai rien contre les relais. Mais quand on est écrasé par le mur, on aime bien se raccrocher à ses copains de galère, titubant et fraternisant dans la nuit girondine. Être dépassé en permanence par des relayeurs fringants casse, pour le moins, le moral. On a envie de gueuler aux spectateurs "Ne les applaudissez pas ! Ils n'ont fait que 10 kilomètres et nous on souffre le martyr ! C'est pas du jeuuuuuuuu !!!!!!". Je ne peux m'empêcher, à chaque fois, de jeter un coup d'oeil sur leur dossard et d'être un peu rassuré par le R de RELAIS. BANDE DE NAZES !

Je dis ça mais je vais peut-être, moi aussi, être relayeur en octobre prochain. Et je n'hésiterai pas à humilier des vieux marathoniens à l'agonie. Bref je m'égare.

Un sprint à 2 à l'heure


Bon, c'est pas le tout mais avec toutes ces considérations la ligne d'arrivée approche enfin. J'ai à peu près une demi-heure de retard sur mon objectif. Ma femme m'attend au bord de la route depuis 3/4 d'heure, elle a filmé tous les arrivants, de peur de me rater. Elle se plaindra plus tard d'une tendinite à l'épaule droite.

Et c'est au cours de ces derniers deux cents mètres que je me décidais à lâcher les chevaux...enfin les poneys devrais-je dire, pour entamer une ultime accélération, histoire de dépasser cette concurrente qui penche à droite telle la tour de Pise et que j'ai en ligne de mire depuis un bon bout de temps. Il est temps de faire parler la poudre et de laminer cette concurrente inclinée. Évidemment, le moment n'était pas des mieux choisis pour que mon ampoule me rappelle à son bon souvenir. Subissant une dernière pression, c'est dans ce finish infernal qu'elle a décidé de littéralement exploser dans ma chaussure, dans un ultime acte suicidaire. Une violente douleur, partant de mon petit doigt de pied et remontant jusqu'à mon cerveau usé a eu raison de mon finish. Je franchis la ligne en 4h26 (temps réel) de ce foutu marathon de mes deux de Bordeaux.

Alléluïa !


Oui ! C'est beau ! Bon sang, je suis finisher du marathon de Bordeaux ! Le mur m'a encore une fois aplati comme une crêpe.

Ok, respect à lui... mais j'ai déjà envie de le re-défier. Probablement en octobre à Toulouse, sur mes terres. La première fois cela m'avait bien réussi et je compte bien remettre les pendules à l'heure (aux alentours de 4 heures).

(Di Caprio, dans Titanic)

Quand on aime, on ne compte pas.